L’histoire du château de Couvrelles depuis 1800
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Cet article est tiré du livre « Couvrelles, la Siège et Epritel », par Maxime de Sars. L’ouvrage est consultable au Centre International de Rencontres.
Le dernier seigneur de Couvrelles était décédé en 1798, âgé de 75 ans, en laissant pour héritière sa seconde femme, Marie Regnault, qui mourut au château en 1805. La mère de la défunte, Marie Quinquet, s’était remariée à Ciry, en 1743, à Jacques-François de Pompery, écuyer, seigneur de Salsogne par cette alliance, et son frère cadet, le chevalier Christophe de Pompery, s’était allié en 1770 à Geneviève-Françoise Regnault de Salsogne, propre sœur de Mme de Verdon. Jacques-François de Pompery laissa, avec trois filles, un fils, François-Hyacinthe, lieutenant-colonel et chevalier de Saint-Louis, né à Salsogne en 1749. Veuf de demoiselle du Marhallach, il s’était remarié, à Quimper, en 1786, à une autre bretonne, Anne-Marie Audouyn du Cosquer. Devenu propriétaire du château de Couvrelles en 1805, à la mort de sa demi-sœur, il s’intéressa avec passion à l’avenir de la betterave ; le blocus continental avait donné naissance à cette culture qui devait devenir une source de richesse pour le Soissonnais. Pour entretenir dans des heures difficiles l’activité de la sucrerie qu’il avait fondée, il ne craignit pas d’abattre les arbres de son parc. La paix avait rouvert la porte au sucre colonial et la jeune industrie n’avait pas encore la force de lui résister. Quand François-Hyacinthe mourut à Soissons en 1821, sa situation financière était fortement ébranlée. Mme de Pompery, morte l’année précédente, réunissait autour d’elle parents et amis, embellissant sa vie « par les plaisirs de l`esprit et les ressources qu’offre la musique. Les jours de naissance y étaient fêtés. Les charades, les proverbes, les concerts et les petits jeux, la danse et les promenades dans le parc, mille distractions dont la maîtresse du logis était l’âme, rendaient agréable le séjour de Couvrelles ».
Elle y reçut souvent un de ses cousins, qui a laissé un nom illustre et a pu être appelé le fondateur de la médecine moderne. Edouard de Pompery raconte que Laënnec, médecin en chef de l’hôpital Necker et professeur au collège de France, venait souvent « se délasser de ses travaux et satisfaire son amour pour la chasse, ayant même quelque prétention à cet égard, et comme bon marcheur ». François-Hyacinthe de Pompery avait eu de sa seconde alliance deux fils et une fille. L’aîné, Charles, allié à la demoiselle Aleno de Saint-Alouarn, eut trois enfants, Esmée, Edouard et Théophile, nés à Couvrelles en 1811, 1812 et 1814 (leur descendance est encore représentée en Bretagne). Le second, Antoine, officier de gendarmerie à Guingamp, avait épousé à Pont-l’abbé, en 1795, demoiselle Jodon de Villeroché et s’était remarié à demoiselle Suzanne Cambier de Buhat, qui lui donna une fille, propriétaire du château de Salsogne, mariée au général de Curten. Marie de Pompery, née à Pont-l’Abbé en 1799, avait épousé à Soissons, en 1818, le colonel comte du Parc de Locmaria, chevalier de Saint-Louis, ancien garde du corps, qui devait, pendant de longues années, se dévouer au comte de Chambord ; leur fils, général de brigade, est mort en 1907. François-Hyacinthe laissait aussi une sœur, âgée de 75 ans et restée célibataire, avec un droit d’usufruit.
Ces héritiers en indivision cherchèrent à se défaire de la terre de Couvrelles. Elle se composait du château, de 4 hectares de jardins avec une pièce d’eau, de bois taillis et futaie en trois pièces de 7 hectares, des bâtiments de la ferme situés dans la cour d’entrée, de 185 hectares de terre, pré, saussaie et vigne, loués à la Ferté avec la ferme pour 27 muids de blé rendus à Soissons et 1.800 francs, en tout 206 hectares ou 512 arpents ; le château devait 300 francs d’impositions. Les domaines de bon rapport étaient fort recherchés des dignitaires de l’Empire, que la paix et souvent la disgrâce laissaient dans une inaction qui leur pesait.
A Courcelles, demeurait le général de Vaubois. Siéyès avait possédé Paars. Davout jouissait de Montgobert,et Charpentier, d’Origny-en-Valois. Le général Randon-Dulannois, ancien commandant de l’artillerie de la garde impériale, s’était plu à élever, sur les bords de l’Aisne, à Villeneuve-Saint-Germain, un vaste château au goût du jour. Il aurait acquis, disait-il, Couvrelles s’il avait eu un enfant. Il chercha tout au moins un acquéreur de son choix, et le général Foy, député de l’Aisne, lui apporta son aide. La correspondance conservée au château témoigne des qualités d’administrateur de ces chefs d’armée, élevés à l’école de Napoléon. « Hier, mon cher Lobau, écrivait plaisamment de Villeneuve l’intermédiaire, à la date du 12 juin 1824, je l’ai passé à parcourir à pied et à cheval les domaines composant la vicomté de Mme de Lobau ». Après plusieurs mois de minutieux pourparlers, la propriété fut vendue, pour 255.000 francs, à Georges Mouton, comte de Lobau, lieutenant-général des armées du roi en non-activité, désireux de plaire à sa femme.
Georges Mouton était né à Phalsbourg, le 21 février 1770, d’un ancien boulanger devenu conseiller de l’hôtel de ville. Après des études assez incomplètes, il s’était engagé en 1792 au 9e bataillon des volontaires de la Meurthe et avait gagné ses premiers grades dans les armées de Belgique, de Sambre-et-Meuse et d’Italie. Il se signala au cours de la vigoureuse défense de Gènes par Masséna, en 1800 ; grièvement blessé dans une sortie, il fut ramené dans la ville par ses soldats. Aide de camp de l’empereur et général de brigade en 1805, il mérita les trois étoiles de divisionnaire, deux ans plus tard, à la bataille de Friedland, où il conduisit trois bataillons à l’attaque des ponts et fut encore blessé. La campagne d’Espagne lui fournit des occasions nouvelles de se distinguer. Mais c’est en 1809 que ce brillant officier, « invariable comme le devoir », donna toute sa mesure. « Mon mouton est un lion », disait Napoléon. Il le montra, au cours de la campagne d’Autriche. Á la seconde journée d’Essling, il se tenait l’épée nue en tête des fusiliers de la garde, qui repoussèrent cinq fois l’assaut des grenadiers autrichiens. L’armée française se trouva un moment acculée dans l’île de Lobau, que le génie avait utilisée au milieu du Danube pour lancer ses ponts de bateaux. Par sa bravoure et sa ténacité, il sauva une partie de l’armée qui se trouvait refoulée dans cette île. Napoléon, qui savait récompenser ses lieutenants, le créa comte de Lobau (19 septembre 1810) et, par cinq décrets, lui fit don de 170.000 francs de rente sur le grand-duché de Varsovie, le grand livre, en Westphalie et en Hanovre, sur les départements des Deux-Sèvres et de la Roër. Quelques mois après son fait d’armes, le jeune général, vainqueur des Autrichiens, épousait, grâce à l’intervention de l’empereur, une jeune fille, belge, d’origine tyrolienne, Félicité-Caroline-Honorine comtesse d’Arberg, chanoinesse de Nivelles. Il accompagna son maître en Russie et fut fait prisonnier à Dresde en 1813, malgré les termes d’une capitulation, et interné en Hongrie, il ne rentra en France qu’après la paix pour recevoir de Louis XVIII la croix de Saint Louis et les fonctions d’inspecteur d’infanterie ; mais il ne put résister à l’entraînement quand son ancien chef débarqua au golfe Jouan. Commandant de la première division militaire et pair de France, il reçut le 5° corps de l’armée de Belgique. Il fit des prodiges de valeur et de talent à Waterloo, où il demeura prisonnier pour la seconde fois. En revenant d`Angleterre, il fut condamné à l’exil et vécut au pays de sa femme jusqu’en 1818. Il revint alors à Paris, dans son hôtel de la rue de Bourbon, dite aujourd’hui de Lille. Le général Mouton s’intéressa à son domaine, qu’il améliora et embellit. Le château fut entièrement remeublé par ses soins ; les quelques pièces que les Allemands ont dédaignées, après les avoir brisées, témoignent du goût de sa femme. Ses compatriotes de la Meurthe envoyèrent Mouton, en 1828, à la chambre des députés, où il siégea sur les bancs de l’opposition libérale. Après la révolution de 1830, il fut promu grand-croix de la Légion d’honneur et succéda à La Fayette à la tête de la garde nationale parisienne au mois de décembre. Il fut ensuite rappelé à l’activité et fait maréchal de France (30 juillet 1831). Le 5 mai 1833, une manifestation bonapartiste s’étant produite sur la place Vendôme, pour commémorer la mort de l’empereur, sous les fenêtres de la reine Hortense, Mouton eut l’idée de disperser l’attroupement en faisant appel aux pompes à incendie. Une avalanche de caricatures le tourna en ridicule et bientôt on chantonna :
C’est la seringue,
Qui vous distingue…
Partisans du juste milieu, etc.
Satisfait de ses services, Louis-Philippe lui conféra la dignité de pair de France (27 juin 1833). Le maréchal de Lobau mourut à Paris le 27 novembre 1838. Lors de la formation de la maison de la nouvelle duchesse d’Orléans, en 1836, la maréchale avait été nommée sa dame d’honneur. Elle mourut, le 3 mai 1860, âgée de 83 ans. Après elle, la terre de Couvrelles échut à sa seconde fille, Caroline-Françoise, baronne d’Ivry, née en 1817. L’aînée avait épousé le marquis Turgot, pair de France et sénateur ; la troisième, le marquis de Pange.
Casimir-Charles-Just Roslin, baron d’Ivry, né en 1818, appartenait à une famille de fermiers généraux : son père avait été fait baron de l’Empire en 1800. C’est lui qui supprima la ferme que l’on trouvait å l’entrée du château, å l’exemple des basses-cours des maisons-fortes de la féodalité, et la transporta dans l’ancien presbytère, élégante construction du XVIIIe siècle, à l’ouest de l’église. A sa place, des écuries et des remises, s’harmonisant avec le style du château, bordèrent la cour d’honneur agrandie. Sur la façade du château qui regarde le parc, le baron d’Ivry fit sculpter ses armes et celles de sa femme, surmontées d’une couronne de baron et soutenues par deux lions. Le baron d’Ivry mourut subitement à Paris le 25 janvier 1873 et sa veuve lui survécut jusqu’au 5 mars 1891. Tous deux furent inhumés sous l’ancienne chapelle seigneuriale, qui a été détruite pendant la dernière guerre et n’a malheureusement pas été relevée ; elle s’ouvrait par une baie sur le chœur de l’église, du côté nord.
Comme sa mère, Mme d’Ivry eut trois filles, la baronne Millin de Grandmaison, la comtesse du Manoir et la baronne Guenifey. La châtelaine de Couvrelles, Simplicie-Félicie-Marguerite Roslin d’Ivry, décédée en 1911, avait épousé en 1867 Louis-Roger du Val, comte du Manoir, décédé au château d’Acquigny en 1888, issu d’une famille rouennaise dont le chef avait été anobli en 1719, pour les services qu’il avait rendus comme directeur de la nouvelle compagnie du Sénégal.
Ajoutons, pour achever l’histoire du château de Couvrelles, qu’après la mort de Mme du Manoir, sa nièce vendit le domaine à M. Prioux, mort dès l’année suivante, en 1913. La tourmente passée, Mme Prioux a déployé la plus grande énergie pour rendre au château et aux jardins l’harmonie qui avait séduit, quatre-vingt ans plus tôt ; la maréchale de Lobau.
A suivre : Couvrelles pendant la guerre 1914-1918