Couvrelles pendant la guerre de 14
A la veille de la guerre, les ressources de la commune, qui n’étaient que de 734 francs en 1875, s’étaient élevées à 5.692 francs, contre 5.266 francs de dépenses ; les dettes ne dépassaient pas 2.600 francs. En quarante ans, le principal des quatre contributions directes était passé de 4.184 francs à 4.243 francs, et le nombre des centimes additionnels, de 48 à 83.
Le tocsin qui sonna dans la journée du 1er août 1914 appela aux armes les jeunes hommes. La récolte put être achevée sans trop de difficultés. On ne vit passer, dans les derniers jours du mois d’août, qu’un détachement ennemi qui réquisitionna deux chevaux à la ferme du château. Couvrelles est bâtie un peu à l’écart, au fond de son étroite gorge boisée, et, quand les Allemands furent refoulés quinze jours plus tard, on ne se rendit pas compte tout d’abord de leur retraite. Ils s’établirent sur la rive droite de l’Aisne et le canon remplit bientôt les deux vallées de son triste grondement pour plus de quatre ans.
Le secteur fut d’abord tenu par l’armée anglaise qui venait au repos dans les villages environnant la Vesle. Les insulaires partirent au mois d’octobre pour le nord ; pendant quelques jours, on ne vit plus un uniforme. La 69e division de réserve ne tarda pas à occuper la région. Le quartier général était à l’abbatiale de Braine et un bataillon de chasseurs à pied cantonnait à Couvrelles, dont le château servait d’ambulance divisionnaire. Après la surprise du 30 octobre, une brigade composée de territoriaux du Limousin s’inséra entre deux divisions, à l’est de Vailly. Le plateau, que son élévation rendait visible pour l’ennemi, dut être abandonné, lorsqu’un maître bouvier y eut été tué. Une batterie de 155 s’y installa, entourée de tranchées et de fils barbelés, tandis que les canons de 75 se masquaient au pied des côtes et dans le parc du château.
Pendant deux ans et demi, Couvrelles mena la vie de l’arrière, vivant de l’armée et pour l’armée. On ne pouvait plus cultiver que 25 hectares. Quand survenait un bombardement, soldats et habitants se mettaient à l`abri dans les caves des vieux vignerons d’antan. Le 21 février 1916, la 69e division partit en hâte pour Verdun, où venait de se déclencher la plus dangereuse des offensives ennemies. De nombreuses troupes occupèrent tour à tour Couvrelles, entre autres les zouaves du général Poeymirau, un régiment de cuirassiers à pied, des détachements du 3e corps. Le recul du mois de mars 1917 n’améliora pas sensiblement la situation de notre village, car les Allemands occupaient toujours le balcon du Chemin des Dames, et leurs avions cherchaient à jeter la confusion dans nos lignes, entre autres le célèbre aviateur Richtoffen, qui s’appelait lui-même « Fantomas ». Pour le combattre, l’héroïque lieutenant Jacques d’Arnoux part le 5 septembre, à 5 heures du matin, de l’aérodrome du Mont-de-Soissons. « Le village de Couvrelles, écrit-il, noyé de brouillards, repose au fond d’une gorge... Çà et là, quelques lumières éparses tremblent dans les hameaux noirs... Des vapeurs encore assoupies s’étirent mollement sur Vasseny. Des nappes diaphanes flottent par-dessus à des altitudes différentes. Et cette ligne sinueuse qui fume : c’est la rivière de la Vesle ». Quelques instants plus tard, il rencontre son adversaire au-dessus du fort de la Malmaison, et, après un combat émouvant, il tombe de 700 mètres d’altitude entre les lignes, où il demeure vingt-six heures grièvement blessé, jusqu’à ce que six zouaves volontaires se dévouent à le ramener.
Déjà se préparait l’attaque du Chemin des Dames, qui devait refouler les Allemands au-delà de l’Ailette. Avant de prendre part à ce magnifique fait d’armes, minutieusement préparé et exécuté, le 11’ corps d’armée se massa sur la Vesle. Son chef, le général de Maud’huy, installa ses bureaux sous les hautes voûtes des sous-sols du château et l’état-major d’artillerie occupa la ferme voisine. C’est donc à Couvrelles que fut élaboré le plan qui permit d’enlever en quelques heures le fort et la ferme de la Malmaison (23 octobre 1917).
A la fin de l’année, l’état-major du 6e corps, qui se tenait à Belleu, donna l’autorisation de reboucher les tranchées et les trous d’obus sur le plateau et de faire disparaître les réseaux de barbelés. On se mit aussitôt à labourer et à semer dans l’espoir que la guerre n’empêcherait plus de récolter. C’est au milieu de ce calme que tomba, le 27 mai 1918, à trois heures du soir, l’ordre d’évacuer immédiatement le village. Les Allemands avaient, la nuit précédente, forcé en quelques heures les lignes de l’Ailette et du Chemin des Dames ; la rivière d’Aisne était atteinte par plusieurs de leurs divisions avant midi. En une heure, les habitants prirent ce qu’ils avaient de plus précieux et se dirigèrent vers le sud, poussant devant eux leurs animaux, pittoresque et lamentable caravane qui ne rencontrait pas toujours l’accueil charitable qu’elle méritait. Seuls, quatre vieux et deux vieilles refusèrent de quitter leur maison. Plusieurs boeufs de la Siège montrèrent le même attachement : ils revinrent sur leurs pas et furent tués par des obus dans la Cour de la ferme.
Les Allemands pillèrent toutes les maisons du village et, comme de juste, le riche mobilier du maréchal de Lobau leur fut une proie particulièrement agréable. On retrouva par la suite une voiture de déménagement de Soissons restée embourbée sur la route. Quand une nouvelle défaite de la Marne les obligea à reculer, ils refoulèrent vers le nord les six derniers habitants de Couvrelles. La Vesle servit de limite aux belligérants jusqu’au 30 septembre, que la 5e armée du général Berthelot poussa vigoureusement vers l’Aisne, avec les 3e, 20e et 5e corps, un ennemi de plus en plus désemparé. Mais, pendant deux mois, des batteries établies entre la Vesle et l’Aisne avaient eu tout le temps de bombarder le village et le château.
Pas une maison de Couvrelles n’était habitable. Peu de bâtiments étaient entièrement détruits : les toitures étaient défoncées, les portes et les fenêtres enlevées, les parquets arrachés. Lorsque M. Louis Pinta revint au mois de janvier 1919, il dut demeurer pendant trois mois à Serches. Les habitants rentraient par petits groupes, heureux de se retrouver chez eux en dépit de la vie pénible qu’entraînait leur dénuement. Le premier soin des arrivants était de nettoyer et d’aménager un logement de fortune dans une pièce moins maltraitée, une cave ou un abri militaire. Ils défrichaient un carré de jardin et l’ensemençaient aussitôt. Dans le courant de l’été, les services d’Etat montèrent des baraques pour les hommes et les animaux, enlevèrent le matériel et les dangereux engins qui couvraient le terroir, rebouchèrent les tranchées et les trous d’obus. On put ensuite commencer les labours.
M. Pinta réunit à la mairie, le 9 septembre 1919, les propriétaires du village et leur proposa de fonder une coopérative de reconstruction. En dix ans, cette société exécuta pour ses quarante-et-un adhérents un peu plus de trois millions de travaux. L’exécution du programme fut confiée à l’entreprise Bastier, sous la direction de M. Chaleil, architecte à Soissons. La coopérative s’est dissoute le 27 octobre 1931, à la satisfaction générale, sans avoir connu de difficultés, grâce à la prudence de son président, M. Pinta, et de son directeur, M. Urion.
La conduite stoïque des habitants au cours de la guerre et de l’évacuation méritait d’être citée à l’ordre de l’armée. Cet honneur fut accordé à Couvrelles, en même temps qu’à dix-sept autres communes du voisinage, par arrêté du ministre de la guerre en date du 26 octobre 1920 : ont été en partie détruites par de fréquents bombardements en raison de leur proximité de la zone de bataille.
« Malgré leurs pertes, ont toujours montré dans les épreuves une grande fermeté d’âme et un courage admirable. Ont bien mérité du pays. »
La croix de guerre fut remise in M. Pinta, maire de Couvrelles, le dimanche 18 septembre 1921, par le général Guillaumat, membre du conseil supérieur de la guerre, au cours d’une cérémonie qui eut pour cadre la place de la République à Soissons, sons la présidence de M. Doumer, ministre des finances. Couvrelles a repris sa calme et active existence. Les mauvais souvenirs commencent à s’effacer dans les esprits, comme ils ont disparu des demeures. Plus heureux que d’autres villages, Couvrelles a conservé, grâce à un architecte de goût, l’aspect si caractéristique d’un village du Soissonnais, ses hautes et blanches maisons vigneronnes posées sur de vastes celliers, ses toits d’ardoises aiguës et ses pignons dentelés. D’autres agglomérations ont le même aspect, mais ce qui est unique ici, c’est l’incomparable trinité que forment à l’entrée du village le grand château Louis XIII en pierre de taille, la petite ferme du XVIIIe siècle et, plus loin, l’élégant clocher du XIIIe, Six cents ans d’histoire, heureusement préservés.